« Grab them by the pussy », une explication historique, ou le Bréviaire de l’amour

« Grab them by the pussy », une explication historique, ou le Bréviaire de l’amour

La source historique que j’ai examinée est intitulée Le Bréviaire de l’amour et circule vraisemblablement au Québec avant l’avènement de la pilule contraceptive.

Ce document s’adresse aux « jeunes gens à marier ou aux couples déjà mariés ». La date de publication n’est pas mentionnée, mais le discours étudié et le parcours de la personne qui me l’a donné laissent deviner le début des années 1960. La publication est hebdomadaire et imprimée aux ateliers de l’imprimerie Bernard Ltée., à Berthierville. Difficile d’évaluer la portée de ce bréviaire car les publications de ce genre qui portent sur la sexualité maritale, jusqu’au seuil de la Révolution tranquille et même un peu après, sont nombreuses. Les rôles sexuels de chacun(e) y sont décrits par les analogies les plus farfelues, car on se garde bien de dire les mots « pénis » ou « vagin » (et encore moins « clitoris »). Le discours des années soixante fait changement de ce qui s’est dit au cours des années précédentes sur la sexualité maritale. Bien sûr, pour les personnes qui écrivent à ce sujet, la sexualité pré-maritale est toujours très mal vue et le but premier de l’acte conjugal est la procréation, mais celles-ci se mettent à parler de l’importance du plaisir sexuel des deux partenaires (femme et homme, évidemment). Notons qu’avant la fin des années 1930 environ, les rapports sexuels ne devaient pas se passer dans le plaisir, mais dans l’optique de procréer uniquement. Les textes sur la sexualité maritale, dès la décennie 1940, évoquent le plaisir sexuel comme un élément essentiel au bonheur conjugal. Pour cela, chacun(e) doit y mettre du sien : les femmes devraient se faire belles (mais pas trop, pour éviter la vanité) et les hommes, se montrer rassurants et délicats. Les dés sont jetés et les rôles de genres établis : madame = objet du désir, monsieur = sujet actif. 

Le chapitre étudié pour cet article a été écrit par Léopold Stern, un médecin, ce qui le différencie des autres auteurs, la plupart des personnes ayant contribué à ce petit ouvrage n’ayant pas de sexualité (ce sont le plus souvent des évêques). Stern raconte dans ce chapitre qu’il participe à un repas entre ami(e)s où il est question d’une comtesse qui aime bien recevoir des coups de cravache au lit. Ce qui tranche aussi sur le reste du discours analysé, c’est ce que Stern affirme à propos des coups : il est d’avis qu’une ou deux bonnes claques administrées à sa femme peuvent lui remettre les idées leur place et raviver son appétit sexuel. Il ajoute : 

Avez-vous remarqué comme les chevaux de race se cabrent, dès qu’ils sentent sur eux un cavalier timide et maladroit? C’est la même chose chez les femmes, dès qu’elles s’aperçoivent que leur mari laisse flotter les guides. Il lui faut une main de maître pour se laisser mener […] Comme amoureuse, la femme doit être maîtrisée. En cette hypostase, elle ressemble à l’enfant et, comme celui-ci, elle agit d’instinct et peut devenir dangereuse, si elle n’est pas retenue par une main énergique. L’autorité exercée doit être continue, sans intermittence et inébranlable.

Stern précise qu’il n’est pas en train de suggérer aux maris de battre leur femme, mais plutôt d’user de violence lorsqu’ils estiment que c’est nécessaire : « La justice penche toujours du côté du plus fort et le grand enfant qu’est la femme pleurera, s’évanouira, aura même une crise de nerfs ; mais elle aura appris à obéir. Du château jusqu’à la chaumière, la femme veut trouver un maître dans son compagnon ». 

Le médecin explique avoir examiné de nombreuses femmes couvertes de bleus tout au long de sa carrière et que celles-ci expliquaient les marques par une chute ou un accident. Un jour, l’une d’elles lui dit que c’était en réalité son mari qui lui a donné une « preuve d’amour ». Le médecin conclut que c’est de là que proviennent les bleus remarqués sur le corps de ses patientes et que celles-ci aiment bien en recevoir. « C’est si agréable, me dit une de mes clientes, de sentir que votre mari est un homme et pas une chiffe! ». Stern raconte que les femmes aiment tester leur mari, les agacent jusqu’à ce que les coups viennent, pour voir s’ils réagiront avec virilité. « La femme, qui est faible, a un penchant prononcé pour tout ce qui est force ».

Évidemment, ce discours a très mal vieilli et fait grincer des dents. Ces propos circulent cependant encore aujourd’hui, notamment dans les cercles masculinistes. On reconnaît très facilement les paroles de l’ancien président américain Donald Trump « Grab them by the pussy » dans ce genre de propos, où la démonstration de force et de violence est considérée comme une preuve de virilité. Les hommes, les vrais, selon certaines idées masculinistes, devraient pouvoir montrer qu’ils ne sont pas des faibles et qu’ils savent dominer leur conjointe. Heureusement, même en 1960, ces paroles font figure d’exception. Les moralistes catholiques et les laïques qui s’expriment au sujet de la sexualité maritale suggèrent généralement aux maris de se montrer tendres avec leur épouse et de ne pas utiliser la force. Rappelons qu’au Québec, le devoir d’obéissance d’une femme envers son mari n’est retiré du Code Civil qu’en 1977 et que les lois sur le viol ne sont modifiées qu’en 1983, pour rendre le viol d’une femme par son conjoint une infraction criminelle. Il faut féliciter les mouvements féministes d’avoir lutté pendant quarante ans pour nous libérer (en partie) de ces lois tout simplement dangereuses pour notre sécurité. Force est de constater, cependant, que notre système de justice est toujours inadéquat pour punir les crimes qui concernent les femmes, à savoir, la violence conjugale et les agressions sexuelles. 

Pour conclure, beaucoup de personnes parlent des pays du Moyen Orient ou de certaines branches religieuses musulmanes avec des accents épouvantés, mais on devrait peut-être se regarder le nombril en tant que société pour essayer d’évaluer comment nous traitons les femmes aujourd’hui… et comment nous les traitions il n’y pas si longtemps. Après tout, les clichés sexuels ne viennent pas de nulle part et notre passé a toujours quelque chose à nous apprendre sur le présent. 

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