Compte rendu de l’ouvrage Histoire populaire de l’amour au Québec, de la Nouvelle-France à la Révolution tranquille, Tome 1, avant 1760

Compte rendu de l’ouvrage Histoire populaire de l’amour au Québec, de la Nouvelle-France à la Révolution tranquille, Tome 1, avant 1760

Paru en 2019 aux éditions FIDES, cet ouvrage a déclenché mon excitation dès les premières pages. Son auteur, le journaliste Jean-Sébastien Marsan, adopte un ton pas trop académique et sa manière de présenter le contenu est digeste, pour celles et ceux qui auraient peur de se lancer dans une lecture épineuse. Tout en citant les Fernand Dumont, Allan Greer et Yves Landry de ce monde, l’auteur a réussi à produire un ouvrage à la fois divertissant informatif. Ce bouquin se consomme comme on écoute une série historique. 

L’ouvrage commence avec l’histoire des premiers coureurs des bois qui, attirés par la liberté et le peu de surveillance sur cet immense territoire, courtisent les femmes autochtones et s’intègrent aux communautés. Au début, les autorités coloniales encouragent ce métissage en pensant convertir les femmes au catholicisme, mais c’est plutôt l’inverse qui se produit : ce sont les hommes blancs qui sont assimilés, les coutumes autochtones étant bien plus souples  que les cadres rigides de la religion catholique du dix-septième siècle. La vie sauvage et l’idée d’une sexualité qui n’est pas un péché sont certainement plus attirantes pour les premiers célibataires blancs de la Nouvelle-France. 

On parle ensuite des Filles du Roy que l’histoire populaire a faussement fait passer pour des travailleuses du sexe ; ces femmes proviennent en réalité de toutes les tranches de la société française. Leur point commun : généralement leur condition d’orpheline et le fait qu’elles aient davantage à gagner en terre neuve que dans les villes de France. L’auteur présente de nombreux parcours au dénouement rocambolesque : les récits de différentes Filles du Roy sont croustillants et quelques unes ont eu un destin plus mouvementé que d’autres. Certaines d’entre elles rentrent en France, d’autres sont trois fois veuves, font un mariage avantageux ou meurent dans la misère. Jean-Sébastien Marsan lève le voile sur les coutumes du temps, sur les contrats de mariages qui sont parfois annulés la journée même et sur l’origine réelle des Filles du Roy. 

L’auteur fait un parallèle avec l’histoire coloniale et la représentation de la quête du père dans les productions culturelles québécoises : l’abandon du fils (la Nouvelle-France) par le père (la France) et l’absence de guerre d’indépendance réussie auraient créé chez les Québécois un sentiment d’infériorité perpétuel. Cette analyse, évidemment, n’est pas nouvelle : elle est explorée par de nombreux auteurs, pas seulement des historiens, mais aussi des cinéastes, des poètes et autres producteurs d’idées. La virilité des conquis à jamais blessée, ceux-ci se seraient refermés sur eux-mêmes. Mais pourquoi s’intéresser seulement à l’identité masculine? Heureusement, les chapitres suivants ne nous laissent pas insatisfait(e)s sur le parcours des Canadiennes françaises, des femmes autochtones et même d’une aventureuse métisse aux nombreux amants. Ce qui m’a énormément plu de cet ouvrage, c’est la description détaillée des coutumes observées dans les communautés autochtones, à partir de récits de voyages de Jésuites, entre autres. Si, comme pour moi, vos cours d’histoire au secondaire ont fait dur en ce qui concerne l’histoire des Premières nations, voici une bonne occasion de se rattraper. 

L’auteur dément plusieurs mythes à propos des remarques faites par les hommes en mission : les Français parlent de prostitution, de libertinage ou d’infidélité, mais il s’agit plutôt de moeurs sexuelles plus libres (et surtout de sexualité non maritale). Il ne faut pas prendre à la lettre ce que les hommes blancs ont écrit à propos des moeurs autochtones car ceux-ci ont tendance à plaquer leurs propres coutumes sur ce qu’ils observent. Des traditions comme celles de « Courir l’allumette » (faire des visites nocturnes entre jeunes gens) auraient donc existé en France et il ne s’agirait pas d’une coutume autochtone. Les observateurs blancs se contredisent souvent : certains disent que ce sont les Hurons qui pratiquent la polygamie, d’autres affirment que non. Choses certaines, il semble que ce sont les femmes des communautés sédentaires qui ont le plus de liberté et que l’inceste n’est qu’une fabulation de l’esprit des blancs. Les communautés autochtones ne sont pas matriarcales, mais plutôt matrilinéaires, c’est-à-dire que les noms et le patrimoine se passent généralement de mères en filles, surtout chez les nations sédentaires. Aussi, avant que le catholicisme ne vienne tout foutre en l’air, l’impératif de la virginité pour les femmes n’existe pas chez les Autochtones : les femmes sont plutôt libres dans le choix de leur partenaire et peuvent avoir des relations sexuelles avant de faire un choix définitif. Dans certaines nations, si le mari part trop longtemps en expédition, une femme peut même se choisir un nouveau conjoint sans qui que ce soit ne puisse s’y opposer. 

Les chapitres suivants parlent des espaces de sociabilité créés dans la nouvelle colonie pour se rencontrer entre jeunes gens et se magasiner un mariage. Le perron de l’Église (!) est un endroit privilégié pour « spotter » les autres célibataires et tâter le terrain. On est bien loin de Tinder qui nous permet de faire la même chose, mais en restant dans le confort de chez nous. C’est drôle de penser qu’aujourd’hui, le processus des « fréquentations » est un peu inversé : au lieu de rencontrer quelqu’un(e) pour possiblement se marier et entrer dans la vie sexuelle, ce sont les rencontres sexuelles qui déterminent si, finalement, la personne peut devenir un(e) partenaire à plus long terme. D’ailleurs, imaginez-vous si vos parents pouvaient lire vos conversations avec vos prétendant(e)s Tinder (c’était un peu ce qui se passait à l’époque, car les parents et l’entourage étaient très impliqué(e)s dans ce rituel des fréquentations). Sauf pour quelques exceptions, difficile de se marier sans l’approbation des parents qui jugent de la valeur du parti et de sa bonne réputation. Aussi, pour celles et ceux qui aiment bien « ghoster » leur prétendant(e) après vingt-quatre heures sans réponse, vous auriez dû prendre votre mal en patience car les fréquentations duraient parfois jusqu’à sept ans. Une chose qui n’a pas changé : on se marie généralement entre personnes du même milieu ou du même territoire et les transgressions font figure d’exception. Impossible de ne pas penser à Tinder qui favorise les prétendant(e)s domicilié(e)s à moins de trois kilomètres. 

De nombreux apartés sont faits afin d’expliquer certains concepts historiques plus épineux à la lectrice ou au lecteur. La Coutume de Paris, l’ancêtre du Code Civil du Québec, est fort bien résumée en quelques paragraphes. Mentionnons qu’il est essentiel de s’y attarder afin de bien comprendre l’évolution des droits des femmes au Québec —et le grand manque de liberté auquel elles font face, surtout une fois mariées. Règle générale, il vaut mieux être veuve en Nouvelle-France pour reprendre, dans certains cas chanceux, les affaires et les biens de son défunt mari sans se faire achaler par personne (et sans produire des bébés durant presque toutes ses années de fécondité). 

Bref, j’ai cru à tort avoir affaire à un ouvrage qui se concentrait sur l’expérience des hommes au début de ma lecture. L’analyse sur l’identité des hommes québécois (que j’ai effrontément taxée d’androcentrée dans une première version de ce compte rendu) m’a fourvoyée. Au contraire, le nombre de pages consacrées aux femmes blanches, autochtones et métisses ainsi qu’aux barrières juridiques et religieuses qui entravent leur liberté est substantiel. Un chapitre est également dédié aux réalités des marginales et des marginaux, à savoir, esclaves et homosexuel(le)s. D’ailleurs, on ne parle pas seulement d’intimité et de mariage dans ce bouquin : par extension, l’histoire de l’alimentation, du régime seigneurial et des traditions canadiennes françaises sont aussi abordées. C’est un ouvrage que je recommande même à celles et ceux qui ne sont pas féru(e)s d’histoire car le ton est léger, captivant et souvent très drôle (surtout lorsqu’il est question de curés scandalisés par la danse ou de jésuites indignés devant les coutumes autochtones). 

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