Compte rendu de Sorcières, sages-femmes et infirmières : une histoire des femmes et de la médecine

Compte rendu de Sorcières, sages-femmes et infirmières : une histoire des femmes et de la médecine

Le titre original de cet ouvrage est en réalité Witches, Midwives and Nurses : A History of Women Healers et sa traduction paraît aux éditions du remue-ménage en 1976. À l’époque, c’est la deuxième publication de la maison d’éditions dédiée aux femmes et à la pensée féministe. Barbara Ehrenreich et Deirdre English, les autrices, ne sont pas historiennes mais, pourtant, elles ont produit une importante réflexion historique sur l’institutionnalisation de la médecine. 

Elles lèvent d’abord le voile sur l’identité des femmes exécutées durant les chasses aux sorcières en Europe et en Amérique du XIVe au XVIIe siècles : ces femmes qu’on dénonçait devant les tribunaux de l’Église pour sorcellerie étaient souvent des guérisseuses. Ce qu’on leur reprochait tant? Le fait de s’appuyer sur des méthodes empiriques plutôt que sur les dogmes de l’Église pour soigner… et d’être des femmes qui pratiquaient la médecine, tout simplement. Avec leurs méthodes efficaces, celles-ci faisaient de l’ombre aux médecins (hommes de classes privilégiées) formés à l’université. Rappelons que les méthodes enseignées à l’université étaient strictement théoriques et impliquaient surtout la saignée et autres recettes farfelues, comme la consommation d’une soupe à base de viande de serpent pour les personnes souffrant de la lèpre… Les guérisseuses prescrivaient généralement des remèdes à base de plantes et savaient comment réduire les douleurs d’une femme pendant l’accouchement — tandis que l’Église estimait que ces douleurs étaient méritées par les femmes pour avoir commis le péché originel. Les autrices révèlent que cette lutte contre la pratique de la médecine chez les femmes est non seulement une guerre misogyne, mais aussi de classes sociales. En effet, les sages-femmes et les guérisseuses avaient l’expérience du terrain, elles soignaient les pauvres et elles-mêmes n’avaient pas accès à l’éducation (déficiente, certes) donnée aux hommes dans les universités. Rappelons qu’au Québec, avec l’institutionnalisation de la médecine, la loi interdit aux personnes qui ne détiennent pas de diplôme de pratiquer des accouchements… À l’époque, cette loi désavantage évidemment les sages-femmes, qui appartiennent aux classes moins aisées et qui n’ont pas les moyens de s’éduquer. La pratique du métier de sage-femme est cependant redevenue légale au Québec depuis 1999 (les sages-femmes se sont aujourd’hui dotées d’un ordre), mais celle-ci s’est faite clandestinement un peu partout et à de nombreuses reprises : le savoir-faire des femmes était souvent indispensable, même si l’histoire a voulu les faire passer pour des bonnes femmes sans éducation. C’est l’une des réflexion les plus importantes de cet ouvrage : la mauvaise presse faite aux guérisseuses a influencé la perception populaire du travail des femmes dans le domaine de la santé, tout en polissant la pratique des hommes. Aux premières, on attribue l’irrationalité et les croyances ésotériques farfelues, aux autres, le professionnalisme, la science, l’éducation, etc. 

Au États-Unis, au XIXe siècle, la formation académique pour devenir médecin se complexifie et s’allonge, de sorte qu’elle n’est pas accessible aux personnes moins bien nanties. La majorité des femmes qui font une formation en médecine dans les écoles moins réputées qui les acceptent sont généralement bloquées à la fin de leurs études : les hôpitaux refusent de les engager et leur collègues masculins, de leur référer des patients. Même si la formation médicale est plus complète qu’auparavant, les méthodes des sages-femmes, à la même époque, sont plus efficaces que celles appliquées dans les hôpitaux où les médecins ne font pas attention à la prévention des infections puerpérales (maladie qui survient suite à l’accouchement). Les organisations masculines de médecins, qui jouissent aussi d’un certain pouvoir politique, se battent pour que la médecine obstétrique devienne illégale pratiquée par des personnes sans diplôme. Comme il s’agit la plupart du temps de femmes immigrantes, celles-ci ne font pas le poids contre la puissance des hommes. Les statistiques démographiques parlent d’elles-mêmes : les années suivant ces lois, le taux de mortalité infantile grimpe. Les organisations de médecins menées par les hommes et quelques femmes bourgeoises travaillent de mèche avec les premiers grands empires financiers américains qui subventionnent leurs écoles de médecine, ce qui nuit considérablement aux écoles indépendantes formant des femmes et des personnes noires. Les unes après les autres, celles-ci ferment leurs portes. 

Le chapitre suivant parle de la professionnalisation du métier d’infirmière aux XIXe et XXe siècles. Les premières femmes qui entrent dans la « vocation » sont des bourgeoises célibataires, ennuyées par la monotonie de la vie dans la sphère privée. Cette profession est acceptable pour les femmes, car elles se placent au service des autres et prennent soin des malades — et parce qu’on croit que cela correspond à leur « nature » féminine. Évidemment, elles sont très mal payées. Le métier d’infirmière est conçu comme l’extension du rôle des mères dans la société ; il incarne tout ce qu’une femme devrait être aux yeux de la nation, c’est-à-dire soumise, dévouée et obéissante aux ordres des hommes, les médecins. D’autres professions de l’ordre du social viennent s’ajouter à cette première vocation, comme le travail social ou l’enseignement. Pas étonnant que ces secteurs essentiels soient toujours occupés majoritairement par des femmes et qu’ils soient toujours aussi mal rémunérés! 

Bref, même si cet ouvrage a été publié il y a déjà quarante-cinq ans, force est de constater que les réflexions qu’il suggère sont toujours aussi actuelles. En temps de pandémie mondiale, ce sont les femmes qui sont au front, qui soignent, guérissent et risquent leur vie. Comment se fait-il que les conditions de leur travail soient aussi médiocres et leur travail si peu reconnu? Pourquoi refuse-t-on de payer décemment les femmes qui accomplissent pourtant un travail éreintant ? Pourquoi ne leur reconnaît-on pas le génie et le prestige attribués aux médecins? Encore aujourd’hui, nous sommes confronté(e)s à un problème de classes… et de sexisme. 

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